dimanche 23 mai 2021

DRÔLES D'OISEAUX

 [La première partie en italique correspond à ce qui a été publié sur la newsletter de M2main de Juin 2021. La deuxième partie en gras en est la suite et la fin.]

 

Deux exilés vivaient loin de leur lieu d’origine, au prix d’inimaginables efforts d’adaptation. Malgré leur situation commune, ils semblaient bien différents. Et dans cet espace réduit qu’offrait le navire qui les hébergeait, ils cohabitaient tant bien que mal, sans réel lien, même s’ils appartenaient à la même espèce, puisqu’ils étaient tous deux de drôles d’oiseaux. L’un Perroquet, enchantait les regards de ses plumes colorées et l’autre, Toucan en imposait avec son bec fort disert.


Tous deux se trouvaient donc embarqués sur le même bateau, celui du pirate le plus célèbre des contrées les plus lointaines du monde le plus atlantique.
Toucan avec son port majestueux et son plumage somptueux allait librement d’un mât à l’autre. Il était le porte-bonheur de l’équipage auquel de son cri puissant, il insufflait confiance et courage dans les opérations de navigation souvent délicates ou périlleuses.     
Perroquet de son côté avait une vie plus réservée. Il ne parcourait guère plus de chemin que celui allant de sa cage à l’épaule du pirate et vice-versa. De tempérament affectueux, il avait à cœur de rendre heureux cet homme qui acceptait de le porter sur son épaule. Il répétait pour cela ses intonations et gardait en mémoire les plus utiles des expressions pour le bon commandement du navire.


Toucan voyait d’un mauvais œil cette proximité entre Perroquet et Capitaine Pirate. Il lui arrivait de trouver que les ordres donnés à l’équipage étaient loin d’être les plus appropriés. Et que Perroquet les répétât de façon aussi lancinante et assommante lui semblait d’une naïveté et d’une légèreté plus qu’insoutenables. Il décida donc de crier plus fort et pour éviter toute surenchère de la part de Perroquet, il frappa ce dernier de son large et solide bec avec une énergie si puissante que l’oiseau multicolore resta plusieurs jours étourdi au pied des barreaux de sa cage.

        
Pirate inquiet du sort de Perroquet devenu d’un coup plus que muet se montra sous un jour peu commun pour un loup de mer aussi respecté que redouté dans toutes ces contrées les plus lointaines du monde le plus atlantique. Avec patience et délicatesse, il affirma sa présence, gardant Perroquet près de lui, avec ou sans cage, qu’il fût muet de stupeur ou pleureux de douleur. Bien que Perroquet put bientôt reprendre sa place sur l’épaule de Pirate, il avait encore du mal à prononcer les mots pourtant si habituels jusqu’alors. Pirate en vint même à penser que le choc avait affecté sa mémoire au point que certains mots pourraient ne jamais revenir. 
Perroquet disposait cependant d’une grande sagesse -celle de la répétition, d’une grande force –celle d’aimer répandre la joie, et d’une aptitude particulière –celle de sentir finement les vibrations de l’air jouant avec ses plumes colorées.

 

Il entreprit donc d’apprendre à utiliser sa voix différemment. Il se mit à écouter avec attention les chants des marins sous les ordres de son capitaine. Il apprit à ressentir finement les mouvements à peine discernables de ses plumes : les matelots éprouvaient de la colère ou de la frustration qu’elles s’ébouriffaient ; de la tristesse ou de la nostalgie qu’elles se resserraient ; de l’espoir ou de l’entrain qu’elles s’allégeaient. Perroquet écouta attentivement et longuement tous ces langages et ce qu’ils provoquaient en lui. 


Il savait Toucan gêné, et peut-être même un peu penaud, que son geste ait pu l’affecter autant – du moins c’est ce qu’avait évoqué un matelot pour amadouer Pirate alors que celui-ci dans un élan de dépit enragé lançait une implacable imprécation contre Toucan. Peu lui en fallut de finir bec ficelé, à moitié plumé et pattes attachées sur un vieux perchoir au fond de la cale, éloigné de tout contact avec l’équipage.

Craignant le courroux du Capitaine, Toucan s’était donc fait un peu plus discret. Il faisait le moins de bruit possible et tout en continuant d’apporter tout le soutien nécessaire à l’équipage, on le voyait de moins en moins sur le pont du navire et en tout cas à une distance plus que mesurée avec Perroquet et Pirate.

Perroquet de son côté souhaitait du plus profond de son caractère attachant que Toucan et lui puissent s’exprimer chacun à leur façon, dans le respect de leurs intentions respectives, et le tout dans la direction décidée par Pirate, car après tout, il était bien le Capitaine.

Perroquet commença à chantonner discrètement d’abord, puis de façon plus libre et plus affichée. À force de répétition, il parvint à confirmer au Capitaine sa récupération lente mais assurée et à toucher le cœur de Toucan qui peu à peu s’emplit de pardon et de compassion.

Grâce à cette persévérance de Perroquet, à la fois douce et intense, légère et profonde, apaisante et vivifiante,  une nouvelle forme de joie naquit sur le navire.
Les chants des marins sous la houlette de Toucan commencèrent à offrir aux ordres de Pirate non plus un écho automatique mais plutôt une résonnance, un accomplissement même.       
Une nouvelle harmonie d’ensemble s’éveilla où chacun put enfin montrer pleinement sa couleur, et ce pour le meilleur de tous.

dimanche 2 mai 2021

MOMUMMYAMA

(Le début de l'histoire en italique correspond à ce qui a été envoyé dans ma newsletter de Mai 2021. Pour lire la suite, descendre dans le texte jusqu'à trouver les caractères gras.)

Elle avait pris soin d’elle pendant plusieurs années sur la fin de ses jours. Et puis un jour, elle est partie pour toujours, rejoignant les étoiles au firmament. Elle lui avait laissé en héritage un exemple et une fidélité : celle de commémorer.
À force de persévérance, elle parvint à faire réalité le désir de sa mère.

Toutes deux appartenaient à ce peuple de petits êtres voyageurs, travailleurs et aimant la bonne aventure.
Le Créateur les avait dotés pour cela d’un dos rond et lisse, pour que les coups de la vie puissent glisser plus facilement ; d’ailes fines et puissantes afin qu’ils franchissent les obstacles et les distances à vive allure ; de petites pattes collantes, de sorte qu’ils puissent s’accrocher fermement à leurs défis.

Ce peuple, celui des coccinelles donc, disposait de bons atouts naturels leur permettant de faire face à n’importe quel aléa ou circonstance.

Mais voilà qu’un jour, un vilain jour d’une vilaine année, le peuple des coccinelles se divisa, sur un critère plus qu’étonnant : celui de la couleur.
Alors que les marguerites pouvaient vivre ensemble et se tolérer qu’elles soient blanches ou roses ; les roses, rouges ou jaunes ; les tulipes, multicolores ; les panthères, rousses ou noires ; les papillons, bleus ou bariolés ; les poissons, gris ou arc-en-ciel ; les coccinelles, elles, ne supportaient plus de se voir les unes rouges à pois noirs et les autres noires à pois rouges.
S’ensuivirent des batailles intestines, cruelles et féroces, au beau milieu des hautes herbes des grandes prairies ; des morts sanglantes se multipliaient obligeant les coquelicots à se rassembler pour commémorer les vies perdues.
Ce spectacle d’une tristesse affligeante, douloureuse et éprouvante meurtrissait chaque jour un peu plus le cœur des coccinelles daltoniennes. Ces dernières, ne distinguant pas les couleurs, ne voyaient d’un côté comme de l’autre, que des semblables se sacrifiant sauvagement en nourrissant rageusement de la haine et de la rancœur meurtrières.
Et au milieu, il y avait aussi ces quelques coccinelles métissées, les toutes jaunes, ou jaunes à pois noirs, qui se sentaient perdues, désorientées, abandonnées, rejetées.
L’une d’entre elles, une observatrice au grand cœur, arrivée au bout du bout de la solitude et de l’abattement, se rappelant les atouts offerts par le Créateur, décida de prendre les choses en pattes.


Coûte que coûte, une entente devait se retisser ; les blessures devaient se panser et l’harmonie régner à nouveau au sein de son peuple.
Elle réunit les coccinelles aux couleurs zébrées, appela les daltoniennes et proposa un plan de réorganisation.
Par petites associations, elles allaient prendre soin en priorité des plus jeunes, des plus faibles et des plus isolées.
Ainsi, elles constitueraient une nouvelle force, un nouvel exemple pour les nombreuses coccinelles rouges et noires qui s’étaient embarquées dans cette voie maléfique et destructrice, à leur corps défendant, ou par principe conditionné, par une forme d’honneur, ou manque de conviction ou de consistance intérieure.


Ces coccinelles dévouées durent déployer beaucoup de persévérance, détermination, ténacité, opiniâtreté, humilité, patience, trésors de communication et de persuasion, compter aussi sur l’aide du temps avant qu’une paix relative puisse se réinstaller entre les différents clans du peuple.


Bien sûr, il reste encore à l’heure actuelle des balafres, des cicatrices, des points sensibles, des zones douloureuses. Les coccinelles ont compris qu’elles devraient continuer à en prendre soin longtemps encore, avec tendresse et bienveillance, et qu’un jour viendrait où la seule chose qui compterait, ce serait le souvenir du courage et des forces débusquées aux tréfonds de la faiblesse et de l’anéantissement, ainsi que l’hommage qui y serait rendu en souvenir. 


Cette année, ce sera le 30 mai.

samedi 1 mai 2021

En écho à Gougaud

Depuis Noël, 2020... je reçois "La pensée du jour d'Henri Gougaud".

Pour vous y inscrire, c'est ici : https://henrigougaud.com/

J'apprécie l'esprit d'échange et de partage qui y règne.
Il publie les poésies, vers ou écrits qu'il choisit parmi les réponses ou réactions qui lui sont adressées.

Je recense ici les lignes qui ont été envoyées par mes soins et certaines partagées :

 

 21/05/2021

Elle contemple l'arbre
Puis se réfugie contre lui
Au pied, tout près de ses racines,
Assise elle s'évade en rêvant
Hors de ses histoires trop noires.

Elle pédale à vive allure
Cheveux au vent
Jupon volant
Traversant l'air
De la ville ou des champs

Elle caresse l'orange
Sentant sous ses doigts
Les aspérités douces à la fois
Humant le parfum délicat
Des madeleines d'autrefois.

Depuis le quai elle contemple 
Le ciel, les nuages, l'océan
Et là bas au loin à l'horizon
La silhouette du grand bateau
De retour des grands continents.

Enveloppée dans l'arôme amer
De sa tasse de café sur le zinc,
Le visage appuyé dans sa paume,
Page après page elle effeuille
En quête de neuf son quotidien.

Embarquée dans le courant 
Du torrent sauvage
Devenant fleuve impétueux
Elle plonge, se noie presque,
Remonte et échoue sur la grève.

Dans la brise rafraîchissante
Du printemps, autour d'elle 
Elle danse cabriolant et virant
De ses ailes tranchantes et agiles,
Traçant son chemin d'hirondelle.

Arrivée enfin dans le lieu intime
De son imaginaire
Où le démon côtoie l'ange
Elle entrevoit une lumière 
Telle une flamme éphémère.

Au pied de l'arbre, son tambour
Résonne au galop du cheval fou
Dans ce grand magasin des mots,
Des images, des visions, des éclairs 
Pour lui rendre des pieds à mettre sur Terre.

Déçue des hommes, elle
Cherche désormais ailleurs
Le réconfort pour ses peines
De corps, de cœur et d'âme.
 

05/05/2021

Respirer à pleins poumons
J'aimerais bien 
Mais je ne peux point
Je dois me souvenir 
Dans mon corps
Que la mort existe.

Respirer à pleins poumons
J'aimerais bien
Mais je ne peux point
Je dois me taire
Et garder cette poussière
Et cracher, tousser

Respirer à pleins poumons
J'aimerais bien
Mais je ne peux point
Je dois ravaler mes mots
Mes larmes et cacher
Ce chagrin qui le cœur m'étreint 

Respirer à pleins poumons
J'aimerais bien
Mais je ne peux point
Je préfère me remplir
De fumée brumeuse
Toxique et délicieuse

Respirer à pleins poumons
J'aimerais bien
Mais je ne peux point
Alors je trouve dans les mots
Une voix, une inspiration 
Pour souffler dans le chaos

Respirer à pleins poumons
Le privilège de celui qui sait
Que tout vient à point.


30/04/2021

Tendresse de Pierrot
Qui a perdu la plume
Et ne sait plus écrire un mot.
Lumière de la lune
Révèle notre ombre
Dans ta douceur nocturne.

28/04/2021

Quand on est aimé,
Peut-être avons-nous gagné
La confiance ?
Quand on aime,
Peut-être a-t-on peur
De perdre ?
Gagner et Perdre,
Recevoir et Laisser-aller,
L'amour, la vie, le souffle,
N'est-ce pas le nécessaire
mouvement d'un va-et-vient ?
D'une réciprocité de
Quand j'aime, je suis aussi aimé ?
Ou de quand je suis aimé,
Je peux aimer à mon tour ?
Cela ne dépendrait-il pas
Du côté où penche la balance
Du besoin ?

26/04/2021
 

L'adresse du bonheur
Toi le grand
C'est ton habileté
À traverser les heurts
Le cœur chantant
Avec ton inventivité
À transformer les pleurs
Le cœur aimant
À force d'originalité
À faire vivre la douceur
Le cœur souriant
En recréant la beauté.

19/04/2021

Certains ne peuvent point vivre
Tant ils sont pétris de cendre et givre
Adieu !
Gisant, je ne veux plus me taire !
Je veux chanter et vibrer entière
Le cœur plein, libre et heureux. 

12/04/2021

L'humain s'est perdu dans la ville
Le jour où pour suivre la cadence
Il a accepté de résister, s'endurcir
Et la douleur a refusé de sentir.
Notre rythme sachons garder,
Au "métronhomme" de notre pouls.

30/03/2021

Entre rayons de lune et dards solaires :
Le désir.
Élan de vie élevant la rose
Née de la terre par l'eau trempée
Et des brûlures et craquelures
De la Lumière de l'âme.

09/03/2021

La perle offre au monde extérieur
la blancheur, la douceur,
l'arc-en-ciel de ses reflets nuancés
et la force de sa nacre,
car elle a su faire dos rond
entre émotion, douleur et vie.

04/03/2021

Merci Mendiant de me réveiller à ce que je pourrais être.

26/02/2021

Plonge dans la structure de l'Univers et reviens te fondre dans tes rêves.

11/02/2021

Une femme monta avec sa fille au sommet de la colline, lui montra d'un geste le paysage tout autour d'elles et lui dit :
"Honore et cultive"

20/01/2021

Cellules de cochlée,
Petit escargot enroulé,
Sortez vos antennes !
Que vos cils à peine
fréquentent la haine
Et répandent la paix
en amour et respect.














lundi 5 avril 2021

La souris rêveuse

 (Suite de la newsletter d'Avril 2021...
Pour lire le début de l'histoire : envoyer un mail à : m2main@orange.fr
)

Cette dernière sourit et reprit la conversation :  
- « Cela fait longtemps que j’attends ta visite et je suis bien heureuse que tu sois là aujourd’hui. Je peux enfin t’offrir ce que je t’ai préparé pour que ton cœur se réjouisse que tu sois qui tu es. »        
La souris des ténèbres déposa devant la rêveuse un joli paquet cadeau.
- « Tiens, emporte-le et utilise-le à bon escient ! »      
La souris des ténèbres disparut aussi vite qu’elle était apparue, dans un éclair de lumière.
Notre amie qui ne savait plus bien qui elle était ni où elle en était se frotta les yeux se demandant si elle rêvait encore puisque devant elle se trouvait… un paquet cadeau…      
         Méfiante et prudente comme à son habitude, elle commença à en grignoter méthodiquement le papier. Un coin par-ci, un coin par-là. Cette tâche l’occupa plusieurs jours et plusieurs nuits, plusieurs nuits et plusieurs jours. Elle dut faire des pauses, et réajuster sa stratégie en maintes occasions. Elle se rendit compte en effet que, découpant le papier avec une obstination acharnée, elle créait en fait des confettis, qui s’entassaient, s’entassaient, s’entassaient au point de bientôt ne plus la laisser bouger ni respirer dans son modeste logis.        

         Entrevoyant le danger de l’asphyxie, elle comprit qu’elle devait agir et faire autrement pour pouvoir mener à bien son entreprise. Elle resta un long moment assise, à contempler le gros tas de confettis qui était en passe de se transformer en une pyramide imposante et menaçante. Elle y discerna les différentes couleurs du papier et se résolut à faire du tri. Il y aurait désormais une petite pyramide pour chaque couleur et aussi une pyramide multicolore.  
Plusieurs petites pyramides, cela lui semblait plus facile à organiser et à déplacer. En revanche, cela continuait à occuper autant de volume et d’espace dans son chez elle. Il devenait donc urgent qu’elle trouve une solution pour se départir de tout ce papier amassé, de sorte qu’il puisse servir à quelque chose ou à quelqu’un.
Déjà elle était obligée de s’aventurer à l’extérieur pour trouver de quoi le transporter : un morceau de tissus un peu grand, mais pas trop ; une feuille de plante résistante et souple à la fois ; une écorce en creux et plutôt légère. Elle soupirait d’inquiétude face aux dangers qu’elle allait devoir affronter pour mener à bien son idée. Cependant, sa résolution restait intacte.      

         Quelques jours plus tard, elle se sentait fière de ce qu’elle avait accompli : elle avait échappé aux embûches qui finalement étaient bien trop visibles pour qu’elle tombe dedans ; de plus, elle avait permis des petites joies dans la maisonnée.
Elle avait déposé le tas multicolore dans la chambre des enfants qui, en le découvrant, avaient passé un grand moment à danser, jouer et rire comme pour un jour de carnaval.
Elle avait laissé l’ocre, le gris, le marron dans l’atelier, près du matériel à bois. Le chef des deux-jambes s’en étonna et, prenant de la colle, transforma les confettis en pâte-à-bois pour son bricolage.      
Quant aux tas vert, bleu et rose, certains étaient restés près des plantes dans le salon et d’autres près du bureau. L’épouse du chef s’était émerveillée de ce cadeau tombé du Ciel : elle allait pouvoir pailler les pieds de ses fleurs de sorte à ce qu’elles supportent mieux la chaleur de l’été et fabriquer de magnifiques cartes postales pour témoigner de son affection à ses amis. 

         La petite souris était donc ravie d’avoir pu être à l’origine de ces petites joies. Enfin… ce n’était pas totalement elle… c’était surtout son autre elle… celle qui lui avait fait comprendre que peut-être être elle, c’était autre chose que ce qu’elle croyait.
Et puis, elle devait se rendre à l’évidence : ce qui lui avait permis cette découverte, c’était surtout un de ses « attributs » auquel elle n’avait jamais vraiment prêté attention. Si elle avait pu tailler autant de confettis, c’était surtout grâce à ses petites dents, fines, aigües et extrêmement solides. Elle se rendit alors compte que jusqu’à ce jour-là, elle n’avait jamais vraiment pris conscience de cet atout qui lui paraissait tellement évident qu’il en était inaperçu pour elle.       
Elle remercia silencieusement son autre elle, celle des ténèbres, et sortit de sa rêverie. Bon, ce n’était pas le tout. Le papier était une histoire ancienne maintenant ; il fallait peut-être s’intéresser désormais à ce qu’il enveloppait. La petite souris n’y avait pas prêté attention, occupée qu’elle était à son rangement méthodique et voilà que maintenant, ô surprise !, elle le voyait…. Et aussitôt… elle se mit à trembler de terreur …

         Ce que le papier avait caché à sa vue n’était autre que son pire ennemi ! Il était là depuis plusieurs semaines dans son nid, et elle n’y avait vu que du feu. Comment avait-elle fait pour ne pas voir l’évidence, encore une fois. Il était là, devant elle, énorme, froid, entortillé. Elle ne connaissait que trop bien son efficacité mortelle pour avoir vu mourir tant des siens entre ses spires. Comment avait-elle fait ? Glacée d’effroi, elle se remit à tourner sur elle-même et à se mordiller frénétiquement le bout de la queue.
Elle tentait tant bien que mal de se concentrer et de réfléchir. De garder la tête froide. Voyons, voyons…. La souris des ténèbres ne pouvait être cruelle au point de lui souhaiter la mort. C’était impossible. Il devait bien y avoir quelque chose à découvrir, à regarder autrement, à illuminer d’un autre jour !   
Pour l’instant, ce qui était rassurant, c’est qu’il ne bougeait  pas. Donc petit à petit, la souris retrouva un peu de calme ; elle put se tenir tranquille dans un coin de son trou et le regarder, l’observer, le détailler, le scruter, sous tous les angles qui lui étaient possibles. Elle put même s’en approcher et le toucher du bout de l’ongle de l’une de ses menues petites pattes.     
En fait, elle l’avait toujours vu couché. Couche sur cette maudite planche de bois, avec un clou caché sous du fromage à l’autre bout… pour la tentation… l’irrésistible, irrépressible tentation… Elle savait que sa détente était bruyante et broyante, redoutable et fracassante.        

         Mais là, il était couché devant elle, à même le sol, et il semblait bien inoffensif. De sa petite patte, elle le poussa d’abord timidement et puis un peu plus fort. Le ressort – car c’était bien un ressort- se mit à rouler lourdement sur son flanc.
La petite souris se demanda d’où venait l’efficacité inéluctable de son fonctionnement. Alors, prudemment, à petites avancées et grands bons en arrière, elle commença à tester, à expérimenter. Elle se rendit compte que si elle se plaçait à une extrémité en faisant un peu de compression, le ressort la renvoyait automatiquement un peu plus loin que sa ligne de départ. Elle commença à y trouver plaisir et se prit au jeu, jusqu’au moment où, ayant appuyé peut être un peu trop fort, le ressort la projeta contre le mur de sa cachette.
« Wow ! » se dit la petite souris un peu étourdie. « Heureusement que le mur m’a arrêtée ! »        
Elle resta là, un instant, à reprendre ses esprits, ou à les chercher… elle ne savait plus très bien…       
Toujours est-il que dans cet entre-deux où elle était allongée, elle revit l’image de la femme-papillon, légère et libre de ses mouvements.      
Quand elle rouvrir les yeux, elle se trouvait là, par terre, comme le ressort, un peu dans son prolongement d’ailleurs, comme si ses petites pattes arrière étaient prêtes à s’appuyer sur l’extrémité de la spirale.  
Elle se leva d’un bond d’un seul. « J’ai trouvé ! » s’écria-t-elle, se frottant les petites pattes et pour une fois, caressant les écailles de sa queue.     


Elle devait planifier, organiser son plan d’attaque. D’abord trouver un support et le disposer là, au coin de la maison, à l’angle du jardin. Ce fut le programme des journées suivantes : trouver ce plan incliné qu’elle placerait contre le mur. 
Une fois la cale en place, elle choisit de reprendre son souffle le temps nécessaire. Elle devait se sentir forte et en forme pour la prochaine étape. Au bout de quelques bons repas, bons sommeils et bons exercices, elle se décida. Munie de casquette, gants, petit sac-à-dos et lunettes d’aviateur, elle réussit à faire rouler le ressort en toute discrétion hors de la maison, à le faire basculer depuis le support et à le mettre en position verticale. Avec du jonc tressé à la manière de sangles, elle comprima les spires de chaque côté du ressort. Elle sortit de son sac à dos deux couteaux bien affûtés et les chaussures à lanières qu’elle avait pris soin de préparer. Elle les enfila, grimpa au sommet du ressort, y fixa les lanières.

Le grand moment était arrivé. C’était quitte ou double !

Elle prit une grande inspiration ; se saisit d’un couteau dans chaque main ; leva les bras et…
« CRAAAC » les sangles lâchèrent.
Un grand « YOUHOUUUU ! » retentit dans la campagne.

Le chef des deux-jambes, son épouse et les enfants se précipitèrent stupéfaits à la fenêtre.
Jumping-Mouse, libre et légère comme la femme-papillon, découvrait le monde depuis la vision d’en-haut. Sa vie en serait sûrement bouleversée…. à vous de l’imaginer…   

Et Youpala en bas,      
Et Youpibo en haut,    
La souris résolue s’en va       
Voguer par monts et par vaux.