[La première partie en italique correspond à ce qui a été publié sur la newsletter de M2main de Juin 2021. La deuxième partie en gras en est la suite et la fin.]
Deux exilés vivaient loin de leur lieu d’origine, au prix d’inimaginables efforts d’adaptation. Malgré leur situation commune, ils semblaient bien différents. Et dans cet espace réduit qu’offrait le navire qui les hébergeait, ils cohabitaient tant bien que mal, sans réel lien, même s’ils appartenaient à la même espèce, puisqu’ils étaient tous deux de drôles d’oiseaux. L’un Perroquet, enchantait les regards de ses plumes colorées et l’autre, Toucan en imposait avec son bec fort disert.
Tous deux se trouvaient donc embarqués sur le même bateau, celui du pirate le
plus célèbre des contrées les plus lointaines du monde le plus atlantique.
Toucan avec son port majestueux et son plumage somptueux allait librement d’un
mât à l’autre. Il était le porte-bonheur de l’équipage auquel de son cri
puissant, il insufflait confiance et courage dans les opérations de navigation
souvent délicates ou périlleuses.
Perroquet de son côté avait une vie plus réservée. Il ne parcourait guère plus
de chemin que celui allant de sa cage à l’épaule du pirate et vice-versa. De
tempérament affectueux, il avait à cœur de rendre heureux cet homme qui
acceptait de le porter sur son épaule. Il répétait pour cela ses intonations et
gardait en mémoire les plus utiles des expressions pour le bon commandement du
navire.
Toucan voyait d’un mauvais œil cette proximité entre Perroquet et Capitaine
Pirate. Il lui arrivait de trouver que les ordres donnés à l’équipage étaient
loin d’être les plus appropriés. Et que Perroquet les répétât de façon aussi
lancinante et assommante lui semblait d’une naïveté et d’une légèreté plus
qu’insoutenables. Il décida donc de crier plus fort et pour éviter toute
surenchère de la part de Perroquet, il frappa ce dernier de son large et solide
bec avec une énergie si puissante que l’oiseau multicolore resta plusieurs
jours étourdi au pied des barreaux de sa cage.
Pirate inquiet du sort de Perroquet devenu d’un coup plus que muet se montra
sous un jour peu commun pour un loup de mer aussi respecté que redouté dans
toutes ces contrées les plus lointaines du monde le plus atlantique. Avec
patience et délicatesse, il affirma sa présence, gardant Perroquet près de lui,
avec ou sans cage, qu’il fût muet de stupeur ou pleureux de douleur. Bien que
Perroquet put bientôt reprendre sa place sur l’épaule de Pirate, il avait
encore du mal à prononcer les mots pourtant si habituels jusqu’alors. Pirate en
vint même à penser que le choc avait affecté sa mémoire au point que certains
mots pourraient ne jamais revenir.
Perroquet disposait cependant d’une grande sagesse -celle de la répétition,
d’une grande force –celle d’aimer répandre la joie, et d’une aptitude
particulière –celle de sentir finement les vibrations de l’air jouant avec ses
plumes colorées.
Il entreprit donc d’apprendre à utiliser sa voix différemment. Il se mit à écouter avec attention les chants des marins sous les ordres de son capitaine. Il apprit à ressentir finement les mouvements à peine discernables de ses plumes : les matelots éprouvaient de la colère ou de la frustration qu’elles s’ébouriffaient ; de la tristesse ou de la nostalgie qu’elles se resserraient ; de l’espoir ou de l’entrain qu’elles s’allégeaient. Perroquet écouta attentivement et longuement tous ces langages et ce qu’ils provoquaient en lui.
Il savait Toucan gêné, et peut-être même un peu penaud, que son geste ait pu
l’affecter autant – du moins c’est ce qu’avait évoqué un matelot pour amadouer
Pirate alors que celui-ci dans un élan de dépit enragé lançait une implacable
imprécation contre Toucan. Peu lui en fallut de finir bec ficelé, à moitié
plumé et pattes attachées sur un vieux perchoir au fond de la cale, éloigné de
tout contact avec l’équipage.
Craignant le courroux du Capitaine, Toucan s’était donc fait un peu plus discret. Il faisait le moins de bruit possible et tout en continuant d’apporter tout le soutien nécessaire à l’équipage, on le voyait de moins en moins sur le pont du navire et en tout cas à une distance plus que mesurée avec Perroquet et Pirate.
Perroquet de son côté souhaitait du plus profond de son caractère attachant que Toucan et lui puissent s’exprimer chacun à leur façon, dans le respect de leurs intentions respectives, et le tout dans la direction décidée par Pirate, car après tout, il était bien le Capitaine.
Perroquet commença à chantonner discrètement d’abord, puis de façon plus libre et plus affichée. À force de répétition, il parvint à confirmer au Capitaine sa récupération lente mais assurée et à toucher le cœur de Toucan qui peu à peu s’emplit de pardon et de compassion.
Grâce
à cette persévérance de Perroquet, à la fois douce et intense, légère et
profonde, apaisante et vivifiante, une
nouvelle forme de joie naquit sur le navire.
Les chants des marins sous la houlette de Toucan commencèrent à offrir aux ordres
de Pirate non plus un écho automatique mais plutôt une résonnance, un
accomplissement même.
Une nouvelle harmonie d’ensemble s’éveilla où chacun put enfin montrer
pleinement sa couleur, et ce pour le meilleur de tous.