dimanche 31 janvier 2021

L'Amour et ses noeuds...


Il était une fois un matelot, beau comme un Cupidon dans son caban bleu, aux brillants boutons dorés.
Il aimait partir pour de longues traversées, vers les océans polaires et les mers lointaines.
Pendant ses longs voyages, il trouvait plaisir et légèreté dans la compagnie des femmes les accueillant lui et ses coéquipiers dans les différents ports d’escale, depuis Amsterdam jusqu’à Buenos Aires, ou de Huston jusqu’à Shangaï.

Or, cette année-là, il était resté plus qu’à l’accoutumée sur sa terre basque natale. À Donibane, dans son port d’attache, le charme tout particulier d’une jolie poissonnière avait attiré son œil et attisé sa ferveur. Elle était éblouissante lorsque, venant tôt au marché, elle portait élégamment sur sa tête la panière aux denrées ; son agilité et la grâce de son pas laissaient notre Cupidon en émoi dans son cœur et dans son corps.

Cette belle poissonnière, fille d’un riche armateur, aimait à déjouer la surveillance de son père. Fier de cette beauté, la sachant bon parti, il exigeait pour elle le meilleur. Il s’arrangeait donc pour lui assurer une garde rapprochée qui ne laissait quasi aucun répit ni liberté à la demoiselle.
Celle-ci, envieuse de toutes ses amies qui badinaient à loisir, allaient danser joueuses et rêveuses au bal du samedi, ne savait plus comment échapper à cette tutelle si sévère.

Un soir pourtant elle y parvint et dans la folie de l’escapade se laissa séduire par la majestueuse allure d’un certain caban bleu aux brillants boutons dorés épiçant le doux regard bleu des yeux énamourés. Cupidon ne pouvant se réprimer dans son élan enfantin et enjoué conquit le cœur tellement fleur bleue de l’innocente poissonnière.

Décelant au petit matin la fatigue sur les fins traits du visage de sa fille, lui remarquant le pas plus lent et trébuchant, le père se doutant de quelque méfait se rendit d’une enjambée directe et assurée chez le matelot en repos.
« Petit gaillard, lui dit-il, j’ignore quel lien tu as tissé avec ma fille. J’espère seulement que tu agiras autrement qu’en canaille de sorte que tu puisses continuer de porter ton caban bleu avec honneur et dignité »

Le matelot embarrassé devait partir le lendemain pour une nouvelle traversée. Se frottant les mains à la perspective de ces beaux mois d’aventure, il était bien loin de compter sur cette nouvelle fidélité.
Il passa donc le jour tout seul, assis à méditer au bord de la falaise, tout près de la chapelle de cette sainte qui avait été enfermée par son père dans une forteresse inaccessible. Celle-ci se prit de pitié pour lui et lui dit ceci :
« Doux Cupidon, je vois bien ton cœur en peine qui cherche l’amour là où il n’est pas et se perd comptant fleurette à toutes les belles jeunettes que ton regard transperce. Si tu veux trouver la paix, embrasse cette croix et offre un nœud à peine ébauché à celle qui te plaît. Tu sauras si te marier lorsqu’il te reviendra solidement souqué. »

Quelque peu abasourdi que Sainte Barbe en personne le conseillât, le matelot la remercia, embrassa la croix et s’en fut chercher de quoi amorcer un nœud. Tant bien que mal il entrelaça les deux bouts du bout en deux huits tels deux cœurs se liant ensemble.

Hésitant et s’en remettant à la force du destin, il alla frapper chez la poissonnière et son père.
« Monsieur, dit-il, en gage de foi et de mon honnêteté, je viens remettre à votre fille ce nœud.
Je m’engage à respecter et honorer ses désirs et volontés lorsqu’en février je reviendrai, le 14 exactement. »

Nœud de huit, nœud de grappin,
La belle, que fera-t-elle ?
Nœud de diamant, nœud de marin,
À la Saint-Valentin, les liens
D’engagement acceptera-t-elle ?

vendredi 8 janvier 2021

La grand-mère, le négociant et la lampe

 

Il était une fois une grand-mère, aux cheveux aplatis et resserrés dans un chignon accroché sur le haut de sa nuque, aux doigts noueux et déformés par l'âge, dont la seule mission qu'elle avait chez sa fille était de veiller sur la lampe à huile de la maisonnée.

Elle le faisait depuis longtemps maintenant, et cela l'avait obligée à faire face à bien des mésaventures. Elle avait reçu la lampe des mains de sa mère ; c'était une lampe de famille, comme on dit. Autant dire qu'elle n'était plus toute jeune elle non plus, et qu'elle aussi avait déjà bien vécu. Elle était ébréchée de-ci, de-là, avait des rayures plus ou moins profondes, et même un trou dans un coin qu'aucune argile n'était parvenue à reboucher correctement. Elle avait des tâches noires et de roussi aussi, tant elle avait vécu de coups, de chutes, de débordements d'huile ou de flammes intempestives.

La grand-mère, comme l'exigeait la tradition, devrait un jour transmettre cette lampe à sa fille. Elle devait donc en prendre le plus grand soin, au quotidien, pour pouvoir la remettre un jour à son héritière, dans les meilleures conditions possibles.

Un des rêves de la grand-mère était que cette lampe puisse lui être offerte dans un meilleur état que celui dans lequel elle l'avait elle-même reçue. Alors, elle ne cessait d'apprendre plein de techniques différentes de nettoyage, poterie, confection de mèche, etc..., pour faire que cette lampe puisse trouver un lustre plus ravissant.

Car cette lampe, bien qu'ayant beaucoup vécu et portant les cicatrices de toutes ses histoires passées, avait un charme certain, difficile à définir. La lueur qui émanait de sa flamme colorait les lieux d'une nuance particulière. Elle avait pour cela été souvent convoitée par des mains indélicates, dérobée par des marchands de peu d'âme, malmenée par des ignorants qui ne voyait en elle que son côté utilitaire.

Dernièrement d'ailleurs, la grand-mère était bien soucieuse. Sa fille voyait régulièrement un négociant en huile qui semblait apprécier la lueur si spéciale se dégageant de la flamme de cette lampe. Il venait souvent ; nul ne sait bien clairement si pour la fille ou pour la lampe ; et il tentait peu à peu d'amadouer la grand-mère pour pouvoir tenir la lampe quelques instants entre ses mains.

La grand-mère ayant traversé beaucoup de péripéties, s'étant trouvée dans des situations plus que périlleuses pour sauvegarder la lampe, se montrait très réticente. Elle observait donc le négociant du coin de l'oeil dès qu'il déployait devant sa fille toutes ses habiletés de bon et prospère commerçant.

La régularité des visites ainsi que la prudence de l'homme finirent par endormir la vigilance de la grand-mère qui, un après-midi d'hiver, s'assoupit quelques instants, lassée de tant de tracas.

C'est à ce moment que le négociant se prit d'audace, s'approcha de la lampe et voulut s'en saisir. Mal en prit au pauvre malheureux, ignorant qu'il était des faiblesses de l'objet !!!

Comme la base de la lampe avait une inclination particulière que la grand-mère connaissait bien, celle-ci savait comment disposer la lampe pour qu'elle soit stable, droite et puisse retenir l'huile sans créer de fuite. Le négociant se croyant malin et bon connaisseur se laissa piéger par cette particularité et l'huile se renversa sur ses mains, ses vêtements, sur le plancher, et des flammèches se mirent à parcourir tous les fins cordons d'huile répandue.

Alertée par le bruit, la grand-mère ouvrit grand les yeux et se précipita pour remettre la lampe à sa place et en bonne position, étouffer les flammèches avant qu'elles ne provoquent un incendie, maugréant contre elle-même de s'être laissée aller à se reposer.

Embarrassé, le négociant la regardait faire sans mot dire ; endurci, il serrait les dents supportant les brûlantes morsures de l'huile sur ses mains.

La grand-mère au fil des ans avait appris à couper le feu.
Allait-elle compatir et faire quelque chose pour les mains du commerçant ? Ou le laisserait-elle avec ses démangeaisons, face à sa réflexion sur son inconscience ?

Lampe, lampion, lampadaire,
À cette histoire donnez de la lumière,
Air Huile Feu Terre
Par vos souhaits et bonne prière.